Sans peurs et sans reproches
actualitesL’IVG, un droit, vraiment ?
Tout le monde vous parlera des « Simone » (Veil, et la regrettée Simone Iff).
Respect. Nous on voudrait vous parler d’autre chose. Des fières héritières que nous sommes.
Nous sommes jeunes, pour la plupart même pas nées en 1975. Pour beaucoup d’entre nous, l’IVG irait presque de soi. Nous avons connu des hommes, beaucoup, on se dit même trop parfois. On va au supermarché « Tinder » du coin, et on s’envoie des quantités astronomiques de plaisir sans entraves. On prend la pilule, ou pas, on se fournit sur leroidelacapote.com sans complexes, on a essayé les diaphragmes, pour voir, il nous est arrivé de prendre la pilule du lendemain « pour être sûres ». Et on a bien une ou deux copines qui ont eu recours à l’avortement. On se dit bien d’elles, avec un frisson d’horreur, « mais comment auraient-elles fait avant ? ». Comme quand on essaye de se demander ce qu’on aurait fait pendant la guerre. On a beau essayer, on y arrive pas, parce que c’est absurde, vu qu’on est pas en guerre, et que de l’eau a coulé sous les ponts. Mais on ne s’attarde pas trop sur le sujet de l’IVG. Vous nous voyez, en plein apéro, au milieu de deux blagues volontairement lourdes sur le dernier « coup » du samedi soir, raconter comment vous vous êtes faite aspirer ? En fait, on y a déjà eu recours soi-même, mais on ne le dira pas. Sauf à une ou deux copines. C’est ça, le mécanisme du tabou.
Oui, c’est absurde de se demander comment on ferait pour organiser nos vies surchargées de femmes libres mais toujours obligées de faire ses preuves, sans la possibilité de l’IVG. Juste la possibilité, même si on n’y recourt jamais. Juste de savoir que la solution existe, et que nous restons maîtresses de nos utérus. Cette question serait absurde, aussi absurde que de penser une seule seconde de revenir sur le fondement de la loi Veil.
Et pourtant. Le gouvernement espagnol l’année dernière l’envisageait. Les femmes brésiliennes sont toujours soumises à la pénalisation – comme dans le formidable documentaire de Fadhia Salomao et Renata Correa, « Clandestinas » .
Et en France, des mouvements réactionnaires, qui crient au loup dans la bergerie à chaque débat sur la famille (le PACS, le Mariage pour tous), nous montrent comment on peut rester fossilisé dans le monde d’hier.
Laissez-nous vous rappeler quelques unes de ces absurdités, entendues à l’Assemblée nationale à la fin de l’année 1974, lors de la discussion générale sur le projet de loi de Simone Veil. Âmes sensibles, s’abstenir face à ces perles :
« Il n’est aucune activité humaine qui ne comporte des risques. La vie quotidienne elle-même est cause de risques. Le travail n’échappe pas à cette loi puisque, au cours de l’année 1972, on a dénombré 1 280 600 accidents, dont 4 228 mortels, c’est-à-dire quinze fois plus que de décès consécutifs à l’avortement clandestin. Quant à l’usage de la voiture, il cause 17 000 morts par an, et les blessés se comptent par centaines de milliers, un grand nombre d’entre eux restant gravement handicapés pour toute leur vie. Les avions sont naturellement aussi une source de risques. Il ne viendrait pourtant à l’idée de personne de supprimer le travail ou l’automobile ! » (M. Hector Rolland)
« Faut-il donc qu’après avoir accueilli les immigrés du travail parce que les Français répugnent à accomplir certaines besognes réputées pénibles, nous devions avoir recours aux immigrés de la famille parce que des Français veulent tuer dans l’œuf le fruit de leur propre chair en refusant de perpétuer la race ? » (M. Jean Desanlis)
« Aucune femme n’a le droit de s’ériger en juge suprême pour disposer de l’embryon humain qui se développe en elle et de s’arroger le droit de vie ou de mort sur son enfant (…) Avec les dispositions qui nous sont soumises, et même s’il y a consultation médicale et sociale, le nombre des avortements doublera en France, comme en d’autres pays, pour atteindre très rapidement celui de 500 000, voire davantage, soit cinq fois le nombre des victimes d’Hiroshima. » (M. René Feït)
« N’en doutez pas : déjà, des capitaux sont impatients de s’investir dans l’industrie de la mort, et le temps n’est pas loin où nous connaîtrons en France ces « avortoirs » – ces abattoirs – où s’entassent des cadavres de petits d’hommes et que certains de nos collègues ont eu l’occasion de visiter à l’étranger » (M. Jean Foyer)
« Une « interruption volontaire de grossesse » c’est un avortement ; et un avortement, c’est un meurtre (…) Je mets solennellement en garde nos collègues contre la tentation avouée de certaines bonnes consciences qui, pressées « d’en finir », selon leur propre expression, n’hésiteraient pas à faire aboutir, dans ce pays, le permis légal de tuer (…) En France, comme partout, le commerce de la mort deviendra la spécialité lucrative d’avorteurs et d’avortoirs patentés où l’on se préoccupera, comme on le fait déjà en Angleterre, de la revente des fœtus avortés à des usines de traitement de « graisses animales » et où l’on procédera, comme on le fait déjà dans les pays qui ont légalisé l’avortement, à des expériences dites scientifiques sur les fœtus encore vivants. » (M. Jacques Médecin)
Ca fout les boules, hein ? Mais attendez, c’est pas fini. Voilà le pire.
« Un enfant désiré, qu’est-ce que cela veut dire ? Désiré quand ? A quel moment ? Combien de temps ? Il est bien évident qu’à de rares exceptions près, une future mère ne désire pas tous les jours de sa grossesse l’enfant à naître, surtout si ce n’est pas le premier. Enfant désiré, dit-on. Non ! Enfant accueilli ? Oui ! Voilà ce qui découle de la pleine responsabilité de chacun et de la pleine responsabilité du couple. Est-il vraiment réaliste de penser, d’espérer, de croire que par la loi on supprimera en tout domaine ce qui n’est pas désiré par chacune ou par chacun ? » (M. Alexandre Bolo)
« Préparons des lois pour aider les femmes en difficulté à porter leurs enfants – leur angoisse est souvent irraisonnée et passagère ; déculpabilisons les filles mères ; facilitons les adoptions ; soutenons financièrement les mères célibataires et les familles nombreuses (…) Les solutions de facilité n’ont jamais rien apporté de bon et de durable. L’avortement légalisé en est une. C’est aussi une faillite, un renoncement. C’est une catastrophe, m’a-t-on écrit, pour notre pays, si appauvri déjà sur les plans moral et humain. Je crois en tous cas qu’elle est contraire à la santé spirituelle d’une nation. » (M. Jean Chambon)
Nous croyons, nous les Georgettes, que la possibilité de l’IVG est au contraire l’un des bienfaits de la santé spirituelle d’une nation. Parce que les femmes peuvent disposer librement de leur corps, mais surtout de leur vie, sans être réduites à de simples « matrices », enfermées dans la sphère du foyer. Certains députés plaidaient à l’époque pour la mise en place d’un « SMIC maternel »…
N’en déplaise par ailleurs à la mémoire de nos chers députés de 1974, les chiffres de l’avortement sont stables depuis lors, s’élevant à près de 200 000 par an (INED, 2004) .
La démographie française ne s’est pas non plus effondrée, bien au contraire, elle demeure à l’heure actuelle l’une des plus dynamique d’Europe. Mais la femme reste l’inégale de l’homme.
Ces gens ne sont pas des épouvantails, des militants « pro-life » en transe rencontrés sur le perron d’un planning familial. Non, ce sont de simples députés de l’Assemblée nationale, de partis tout ce qu’il y a de plus respectables, gaullistes et centristes, parfois même d’anciens résistants. Aujourd’hui, de mêmes députés tout ce qu’il y a de plus respectables, de droite ou de gauche, tentent de réduire l’accès à l’IVG.
Grazia posait la question en novembre dernier : « Peut-on avorter tranquillement en France ? »
Interrogez vos copines. Et ben pas toujours.
Le service public de l’avortement est en effet en berne.
Depuis la loi Bachelot portant sur le regroupement et la restructuration des hôpitaux ainsi que la cotation des actes médicaux ,l’accès à l’IVG est rendu de plus en plus compliqué . On constate un démembrement des centres d’interruption volontaire de grossesse avec une fermeture de plus de 130 établissements de santé pratiquant l’IVG ces 10 dernières années . Par ailleurs l’évolution de la démographie médicale avec le départ en retraite de la génération de médecins impliqués dans la prise en charge des IVG et le fait que l’acte médical est un des moins remunérateurs pour les hopitaux , contribuent à une réduction de moyens et de personnel pour les centres encore ouverts. Les conscéquences sont lourdes : délais d’attente importants, longues distances à parcourir avant d’accéder à un centre, le choix de la méthode d’IVG n’est pas toujours garanti .
Tous les députés de 1974 n’étaient pas d’atroces obscurantistes, bien heureusement. La loi fut d’ailleurs votée, à 284 voix contre 189. M. Etienne Pinte rappelait alors assez finement : « Le premier mérite du projet est de provoquer le dialogue et la concertation entre les femmes et tous ceux qui, de près ou de loin, seront à même de les accueillir, de les écouter, de les conseiller et de les aider (…) Si tel était le cas demain, petit à petit, les ghettos tomberaient, les hontes s’estomperaient, les culpabilités s’évanouiraient. Gardons-nous, ce jour-là, de penser avoir atteint notre but, car les tabous sont très longs à mourir. » En plus de connaître des difficultés dans le recours à l’IVG, les femmes sont victimes de préjugés tenaces. Vous voulez une insulte pas sexycool du tout ? « Avorton », ça marche encore pour blesser. Nous ne pouvons que vous conseiller l’excellent document « Code 178 », de Jérémy Sahel. Femmes, compagnons, médecins et travailleurs sociaux y libèrent la parole. On ne peut demander à la femme, seule, d’assumer une « tolérance zéro » dans les erreurs de prises de la pilule. On ne peut demander à la femme, seule, de conjuguer vie familiale et vie professionnelle. On ne peut demander à la femme, seule, d’être jugée pour des actes qui arrangent bien souvent une partie de l’entourage.
Avorter est un droit, battons-nous pour qu’il le demeure et libérons la parole
Georgette Sand revendique après la possibilité de s’exprimer sans tabou sur un droit fondamental, celui de disposer de son propre corps, dans un contexte où la santé des femmes reste un enjeu de société complexe.
Pour cette raison, Georgette Sand sera présente à deux évènements
- à la journée organisée par Féministes en mouvements
Evènement https://www.facebook.com/events/1515879402028499/?pnref=story
- à la manifestation qui a lieu à l’occasion des 40 ans de l’IVG, samedi 17 janvier 2015 avec le collectif national des droits des femmes http://www.collectifdroitsdesfemmes.org/
RV 14h30 à Bastille
Evènement https://www.facebook.com/events/987607144589880/?notif_t=plan_user_joined