L’interview de Lena Dunham : Ellen Malcolm

Ellen Malcolm, fondatrice d’Emily’s List : une « activiste improbable » du pouvoir d’agir des femmes en politique américaine

Par Mikki Halpin, le 22 avril 2016 (publié dans le blog de Lena Dunham)

Traduction en français : Clémentine Sinquin pour Georgette Sand.

Il y a 30 ans, Ellen Malcolm a démarré une révolution. A cette époque, elle travaillait dans une association et était, comme beaucoup d’entre nous, dégoûtée par la domination des hommes sur la scène politique américaine. Elle a donc fondé Emily’s List, un groupe ayant pour but de faire élire des femmes démocrates pro-choice à la tête de l’Etat. Emily’s List a gagné sa toute première course quand Barbara Mikulski, du Maryland, a été élue sénatrice en 1986 ; depuis lors, l’organisation a aidé plus de 100 femmes à être élues au Parlement, 19 au Sénat, 11 à des sièges de gouverneures, et des centaines d’autres dans les bureaux de l’Etat et au niveau local.

La liste des success stories est un Panthéon de femmes incroyables : Carol Moseley Braun, Marzie Hirono, Nancy Pelosi, Kamala Harris, Elizabeth Warren, et, évidemment, Hillary Clinton.

En fait, Emily’s List est aujourd’hui si puissante que Bernie Sanders s’en est pris à elle la semaine dernière, affirmant que l’organisation avait refusé de soutenir Lucy Flores, une femme candidate à la Chambre des Représentant-e-s dans le Nevada, parce que Flores supportait Sanders. Emily’s List soutient en fait Susie Lee, l’opposante de Flores. « On a soutenu des femmes qui supportent Hillary et des femmes qui supportent Bernie, ce que ce dernier sait parfaitement » a dit Jess McIntosh, vice-présidente de la communication chez Emily’s List. « C’est une tactique vraiment étrange pour quelqu’un qui se dit être un champion progressiste que d’attaquer une organisation dédiée à l’élection de femmes pro-choice ».

Mais revenons à nos moutonnes.

Malcolm vient juste de publier un bouquin, When Women Win: Emily’s List and the Rise of Women in American Politics. Si elle se désigne elle-même comme “une activiste improbable”, cette femme est bien une warrior. Malcolm a commencé à s’attaquer au statu quo très tôt, en menant une lutte pour que les femmes puissent porter le pantalon sur le campus de sa fac en Virginie. Elle n’était qu’en licence. La boucle fut bouclée en 1993, quand les sénatrices Mikulski et Moseley Braun, deux des femmes que Malcolm a aidé à se faire élire, furent les premières femmes à porter le pantalon sur le sol du Sénat (le pantalon fait donc clairement partie de la révolution !).

J’ai parlé avec Malcolm au téléphone à propos du pouvoir politique des femmes américaines, pour savoir si tous les vagins méritaient un vote, et savoir ce qu’elle comptait faire après qu’Hillary Clinton soit élue.

Mikki Halpin : Pourquoi est-ce important d’avoir des femmes démocrates pro-choice au pouvoir ?

Ellen Malcolm: Well, premièrement, il est ridicule d’exclure des femmes des fonctions politiques, cela remonte plutôt à un passé ancien. Vous ratez beaucoup de talents quand vous ne laissez pas les gens les utiliser. Mais au-delà de ça, les femmes ont des expériences de vie et des points de vue très différents. Elles font attention aux questions des femmes. Ce n’est pas surprenant qu’après 1992, « Année de la Femme », quand cinq femmes ont été élues au Sénat, les fonds dédiés à la recherche sur le cancer du sein aient littéralement explosé. Dans la même veine, Barbara Mikulski s’est servie de sa position à la Commission des finances du Sénat pour obliger les Instituts Nationaux de la Santé à inclure des femmes dans les essais de recherches sur les AVC et maladies cardiaques. Jusqu’alors, seuls des cas masculins avaient été étudiés. Quand les femmes ont des postes de pouvoir, l’ensemble des femmes y gagnent.

MH: Cela signifie-t-il qu’on devrait toujours voter pour des femmes, peu importe lesquelles ?
EM: Je ne voterai jamais pour une candidate juste parce que c’est une femme. J’ai passé toute ma vie d’adulte à essayer activement de mener des femmes au pouvoir, et je ne voterai jamais pour une femme juste parce que c’est une femme. Cette question apparaît en revanche quand les candidats démocrates masculin et féminin ont les mêmes positions politiques. Nous sommes d’abord une organisation progressiste. Donc dans ces cas-là, toute chose égale par ailleurs – et je dis bien égale – si pour vous, la diversité importe et que vous croyez en une démocratie représentative, vous devriez choisir la femme. Aujourd’hui, les femmes représentent plus de 50% de la population, et seulement 18% du Congrès ! C’est un échec de la démocratie représentative. Dans ce pays, nous n’avons pas assez de femmes représentées à des hauts postes et en particulier dans les fonctions législatives. Je pense que le gouvernement ferait du meilleur boulot si on avait plus de femmes en fonction.

MH: Ce serait ce que vous diriez à quelqu’un qui tente de choisir entre Bernie et Hillary ?
EM: Il y a beaucoup de raisons de supporter Hillary. Je travaille dur sur sa campagne. Je comprends que d’autres personnes supportent Bernie, comme j’ai compris en 2008 que d’autres personnes soient pour Barack Obama. On peut mener ce débat pendant les primaires et les caucus. Mais en fin de compte, je pense qu’on va toutes et tous se rassembler parce que la seule chose qu’on a à faire, c’est de stopper le candidat républicain, que ce soit Donald Trump, Ted Cruz ou je ne sais qui.

MH: A part Hillary, quelle autre femme candidate cette année vous enthousiasme ?
EM: Je pense que les Démocrates ont de très grandes chances de récupérer le Sénat cette année, et les femmes candidates en pourraient être la clé. Catherine Cortez Masto, qui est candidate pour le siège de Harry Reid dans le Nevada, serait la première latino-américaine élue au Sénat des Etats-Unis. Tammy Duckworth, candidate dans l’Illinois, est en train de faire un job phénoménal. Maggie Hassan se livre à une course vraiment très serrée dans le New Hampshire. Nous avons également de super opportunités pour avoir plus de femmes au Parlement. Je pense qu’on pourrait assister à un nombre-record de victoires pour les femmes en 2016.

MH: Le fait que des femmes candidatent pour des postes politiques est super chouette, mais j’ai lu qu’une fois, vous aviez secrètement usé d’une stratégie très élaborée pour donner de l’argent aux causes auxquelles vous croyez. C’est le moment où je vous demande de me parler de votre identité clandestine !
EM: Haha ! Alors, bien avant que nous démarrions Emily’s List, j’ai eu la grande chance d’hériter d’un peu d’argent, dont j’ai voulu me débarrasser – et je travaillais aussi pour une organisation non-lucrative et voulais être connue pour mon travail, pas pour mon argent. Donc j’ai mis en place quelque chose appelé le Windom Fund, car j’avais un jour habité dans une rue Windom et que je trouvais ça classe. Mon amie Lael Stegall a mené l’opération, et j’étais la donatrice anonyme.
Les gens n’arrêtaient pas de demander à Lael qui lui avait donné cet argent. Vous savez à quel point Washington aime les secrets. Donc j’ai décidé de créer un personnage de fiction, Henrietta Windom, et raconté aux gens qu’elle avait fait fortune en inventant les Tampax et voulait donner tout son argent aux femmes. [Note de l’éditrice : Tampax a en fait été créé par un homme, mais son cœur était sûrement à la bonne… place !]
Lael a trouvé dans le Maine un vieux portrait d’une femme qui pour nous, ressemblait vraiment à Henrietta. La femme sur le portrait était jeune mais forte, et paraissait vraiment idéale. Finalement, l’histoire est sortie dans le Washington Post, et un couple est venu dans notre salle d’attente pour voir le tableau, parce que les deux s’appelaient Windom et qu’ils voulaient voir s’il y avait un air de famille. Ce fut extrêmement étrange mais tellement drôle ! J’ai toujours eu une grande affection pour Henrietta.
MH: Je suis sûre que c’était une femme formidable. Si seulement je l’avais rencontrée !
EM: Je suppose que vous pouvez dire que vous êtes en ce moment-même en train de lui parler !

MH: Ok alors, Henrietta, dites-moi : que se passe-t-il si Hillary gagne ? Que fait Emily’s Liste le jour d’après ? Quelle est la montagne suivante à escalader ?
EM: Le jour d’après ?
MH: Je vous donne deux jours.
EM: Nous allons faire la fête pendant au moins deux jours. Et ensuite, nous retournerons travailler, direct. Parce que s’il y a une chose que je sais au sujet du changement social, c’est qu’il est fait de tout petits et de grands pas. Un ensemble de circonstances peuvent être réunies et vous faites un bond géant en avant, mais ensuite, vous devez ramper de nouveau jusqu’à la prochaine étape. Si vous ne rampez pas, vous irez à reculons. Vous voyez ce qu’il arrive avec la santé des femmes, et vous rendez compte que vous ne pouvez pas arrêter. Quand on croit en des valeurs et des politiques progressistes, cela demande un engagement constant et de la persévérance pour aller toujours plus loin. Et vous ne pouvez jamais arrêter. Donc vous pouvez fêter une victoire, vous ambiancer, et retourner travailler.

MH: Les femmes sont sous-représentées au Congrès. Mais le nombre de femmes de couleur est encore moindre. Est-ce qu’Emily’s List prend en compte la « race », ou juste le genre ?
EM: On est extrêmement fières que le tiers des femmes que nous avons élues au Congrès soient – ou aient été – des femmes de couleur. On a travaillé dur pour que cela arrive. Gwen Moore, qui est maintenant représentante du Wisconsin au Parlement, était initialement très sceptique quand on est venues la voir. Elle a dit « je pensais que vous étiez juste une bande de riches dames blanches et que vous n’aidiez pas les femmes noires ». Ce n’est pas la vérité.
La vérité, c’est que nous souhaitons aider les femmes noires en politique, et c’est pourquoi nous avons élu nombre d’entre elles. C’est une valeur essentielle d’Emily’s List, et c’est une bonne chose, car je pense que cela rend notre pays plus fort. On adore briser le plafond de verre et voir comment les femmes s’épanouissent une fois arrivées au pouvoir.

MH: En ce moment, la politique est excitante pour les femmes – mais c’est aussi un moment où beaucoup de femmes repensent leur vie publique à cause du harcèlement et de la négativité qu’elles rencontrent, juste en parlant franchement sur Twitter, peu importe leur parcours politique. Que diriez-vous à quelqu’un-e qui doit affronter ces problèmes ?
EM: Beaucoup de choses. L’une d’entre elles, c’est qu’il est vraiment important qu’elle participe à la vie publique. Nous avons besoin de jeunes femmes pour intégrer le système, pour apporter vos savoir-faire, vos priorités et votre analyse de la façon dont les choses sont faites. L’autre chose est que l’on vous aidera à chaque étape de votre parcours. Des organisations comme Emily’s List trouveront des gens qui vous aideront. Ce ne devra pas et ne sera pas un acte en solitaire.
Je pense que ce qui motive les femmes et les fait dépasser leurs peurs, c’est que les femmes, généralement, sont candidates à des élections pour la meilleure des raisons : elles veulent faire la différence. Si vous vous intéressez vraiment à votre pays et que vous souhaitez que le gouvernement travaille mieux, alors banco, vous pouvez rester concentrée sur votre objectif. Ce sont les femmes qui comprennent cela qui décident d’entrer en campagne, et ce sont ces femmes à qui nous sommes fières d’apporter notre soutien.

MH: Et comment Emily’s List travaille avec les candidates ? Quels est le genre de choses que des femmes en campagne doivent être capables de faire – mis à part le travail énorme de la collecte de fonds, bien sûr ?
EM: Au départ, nous avons simplement commencé par réunir des fonds pour les candidates. Le cœur de l’activité d’Emily’s List et qui le sera toujours, c’est son réseau de donateurs-trices. 100% de la contribution que vous donnez à une candidate portée par Emily’s List va directement aux campagnes électorales des femmes. On aide les candidates à diffuser leurs messages et opinions, et on encourage des petit-es contributeurs-trices à se réunir derrière un-e candidat-e, et ainsi avoir autant de poids que les gros donateurs-trices.
Comme on a grandi, on a commencé à faire des choses supplémentaires pour aider les candidates, comme du debate training et de l’assistance technique. On a aussi un énorme programme pour inciter les femmes à voter. Le partenariat (comme on aime l’appeler) entre l’argent récolté pour une candidate et le travail politique que l’on fait, c’est cela qui engendre la victoire.

Cette interview a été condensée et reformulée


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