« A votre rancœur, messieurs, dames »

Sérieux, dans l’édition papier du mercredi 19 novembre 2014 !

Sexe et genre. Le groupe féministe Georgette Sand a lancé un concours d’injures pour en finir avec les préjugés sexistes et homophobes.
Par Anne-Claire Genthialon
«Eh casse-toi, pov Playmobil en talonnette !» ; «Qu’est-ce qu’elle me veut, la fesse d’huître ?» ; « Il a un problème, le falafel disgracieux ?» ; «C’est qu’il commence à me chauffer, le tueur de chaton !» Encore ? «Rambo de maternelle», «kyste infecté», «infâme raie du cul» et on en passe d’autres encore plus fleuries.
Pas facile de renouveler notre répertoire de grossièretés. De sortir des sempiternels «putain», «connard» et autre «enculé», salement connotés. Pour varier les noms d’oiseaux à se balancer, le tout jeune collectif féministe des Georgette Sand (1) vient de dévoiler les résultats de son concours d’injures «sexycool». Une compète sur Internet pour laquelle les participants étaient invités à se creuser afin «d’insulter sans discriminer».
«La grande majorité des insultes que nous utilisons sont dégradantes pour les femmes, pour les homosexuels…, rappelle Juliette Melba, animatrice du collectif. L’insulte marque notre inconscient. Parce qu’elle est destinée à humilier, à marquer l’infériorité, elle traduit une hiérarchie sociale et véhicule les équilibres de la société. En traitant l’autre de pédé, on sous-entend finalement qu’être homosexuel, c’est dégradant. Idem pour les femmes. Une société moins sexiste, moins homophobe, moins raciste, ça passe aussi par un travail sur les insultes.»
«Fin de série». Exagéré ? Selon un sondage réalisé par l’institut Harris en 2010, le juron préféré des automobilistes est à 27% «connard». Un dérivé de «con» qui, faut-il le rappeler, avant de qualifier une personne stupide ou désagréable, désigne le sexe de la femme. «Et même dans les langues étrangères : plus de 500 insultes tournent autour de « pute », « enculés », soupire Juliette Melba. Dans nos sociétés, le pire du pire, ça reste d’être une prostituée ou de ne pas correspondre aux normes de la virilité.» Pas question pour autant d’être gnan-gnan. Bien précisé sur le Tumblr du concours, où les participants doivent poster une photo d’eux avec leur insulte, c’est aussi «l’occasion de se marrer» et de tester sa créativité. L’injure «vulgaire, blessante, trash, grossière, malpolie ou effrontée, voire tout à la fois» est la bienvenue. Avec une limite toutefois : ne pas dénigrer les hommes. «Nous avons supprimé du concours « brouillon d’homme », il ne s’agit pas de combattre des préjugés avec d’autres préjugés», précise Juliette Melba.
Qu’est ce que ça donne finalement ? Un palmarès d’une cinquantaine d’expressions bien salées. Des désuètes «fichtre», «pleutre» et «abruti» en passant par les régionales «va caguer à Endoume», aux gentillettes «fin de série», «équation sans inconnue», «croquette molle» ou la mignonne «tête de litote», jusqu’aux plus cracra, du style «mycose rectale», «poil de cul fermenté», «jus de poubelle» ou encore «cookie à la crotte de nez».
Mais celui qui a remporté le concours, en collectant le plus de «likes» sur la page Facebook du collectif, c’est Emmanuel, 34 ans, avec son «loleur compulsif». «Je cherchais une insulte contemporaine. Aujourd’hui, on est rivés sur nos smartphones et on like, on lole à tour de bras, tout et n’importe quoi», explique le vainqueur. Aussi de son cru : «textoteur annhalfabaite».
«Classique». Reste que ce florilège ne convainc guère Pierre Merle, auteur d’un Petit Traité de l’injure (2). S’il reconnaît de la «créativité», il considère ces insultes comme «faiblardes». «L’injure, c’est automatique, direct, explique l’auteur. Pour qu’elle porte, elle doit faire monter la moutarde au nez de celui qui la reçoit. Il faut des mots forts, courts, que tout le monde puisse comprendre. Du coup, on a recours aux basiques. Et même si l’égalité fait avancer la société, il faudra du temps pour faire évoluer des injures ancestrales, bien ancrées. On va, à mon avis, encore s’insulter à la classique pendant longtemps.»
Pas sûr en effet qu’on se balance de sitôt des «espèce de Pokemon» (2e du classement) à la figure, ou que l’on se traitera en bagnole de «gencives infectées» (8e du classement) ou de «péteur d’emmerdomètre» (28e). Mais, comme le souligne Juliette Melba, «l’essentiel, c’est d’avoir des alternatives, de laisser ce Tumblr ouvert, pour que les gens puissent piocher dans ce réservoir d’insultes». Et de rappeler que «la féminisation des noms des métiers, ça n’existait pas non plus il y a trente ans…»
(1) Le collectif Georgette Sand a dénoncé l’existence d’une «taxe rose» ou «women tax» : les femmes paient plus cher que les hommes des produits ou services que les deux sexes utilisent (rasoirs, coiffeur, pressing).
(2) «Petit Traité de l’injure : dictionnaire humoristique», Pierre Merle, Points (2012)

Ouh le beau scan qu’il est beau

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