Tracy de Sa, une rappeuse féministe

Georgette Sand a découvert au Printemps de Bourges, une artiste prometteuse : Tracy de Sa. Dans ce milieu du rap très mâle, nous nous devions d’aller voir de plus près cette artiste qui se définit 100% féministe. Verdict outre un rap excellent, Tracy de Sa a une tête très bien faite.  

Tu es née à Goa en Inde, c’est quoi l’Inde pour toi ? 

J’adore mais en même temps c’est compliqué, il y a toujours un décalage. Mais je suis contente d’y retourner tous les ans de voir l’évolution du pays. Cela bouge doucement, mais aujourd’hui il y a beaucoup de femmes qui sont plus engagées qu’avant. Il y a plus de liberté pour qu’elles puissent parler, se réunir. Ma mère n’était pas heureuse avec son mari mais elle ne pouvait pas divorcer. Elle a pris ses enfants, ses valises et elle est partie à l’étranger, j’avais 3 ans. Cela a eu des conséquences lourdes pour elle, plus personne ne lui parlait plus car elle avait laissé son mari et ses obligations. Elle a eu très peu de soutien de sa famille. 25 ans plus tard, les choses ont changé parce que ma mère est vue différemment. Aujourd’hui lorsqu’une femme se détache de son mari, on commence à se poser des questions, penser qu’il y a peut-être des raisons à sa décision. On envisage qu’il puisse y avoir des violences. Pour ma mère cela a été très difficile. Elle était seule avec nous en Espagne. Elle essayait de nous éduquer dans la culture indienne. Mais en grandissant nous étions aussi imprégnés de cette culture européenne. C’était un gros contraste.  

 Etre femme issue de l’immigration ? 

Une fois qu’on est immigré, on l’est toujours. Lorsque je suis en Inde, je suis ressentie comme autre. En Espagne, j’étais perçue comme immigrée à cause de mon accent, ma couleur de peau. Aujourd’hui en France c’est pareil, on ne peut pas se détacher du fait qu’on est immigré. Ici, il y a beaucoup de démarches administratives et quand on arrive on ne comprend rien. Lors de toutes ces étapes, l’administration te rappelle toujours que tu es immigré. C’est cela qui est dur à vivre car tu te dis que tu es chez toi nulle part. Finalement on est censé faire partir du monde mais parfois on se demande où est notre place. Cette multiculture, c’est certes une richesse mais c’est parfois dur à vivre.  

 

Tracy, être femme dans le milieu hip hop c’est comment ? 

C’est compliqué mais il faut le faire parce que c’est important de dire qu’on est là. Il y a beaucoup de femmes dans le rap. Nous ne sommes pas forcément visibilisées, pas mises en avant dans les scènes régionales ou nationales. Ce n’est pas seulement le hip hop, mais les musiques en général. On ne trouve pas forcément notre place, on ne nous encourage pas aller sur scène. Il y a beaucoup de pression sur les femmes, comment on s’habille, comment on parle, comment on se médiatise. Moi j’ai eu beaucoup de remarques. Je devrais faire plus des choses chantées au lieu du rapper. Dans les clips je devrais m’habiller plus sexy, plus légèrement, pour attirer plus de public or ce n’est pas forcément ce que l’on a envie de montrer. Il y a beaucoup de choses comme cela, il faut s’imposer. Dire ce que l’on veut car l’on peut vite être influencé. Ce que l’on nous demande de faire pour aller plus loin, ce n’est pas forcément ce qui est le mieux pour nous. C’est dur. Quand on est programmé, c’est en général avec des mecs. Donc dans la loge tu es avec eux et ce n’est pas forcément facile de se préparer, de s’habiller comme tu veux. Quand tu te maquilles, on te fait des remarques. Tu es la seule à te démaquiller. On te dit que tu prends de la place parce que tu arrives avec beaucoup d’affaires. Il y a encore beaucoup de choses comme ça. Je trouve qu’on a encore du travail à faire. On ne nous encourage pas à aller sur scène. 

 

#MeToo ? 

Le mouvement #MeToo c’est important. Cela a été une libération de pouvoir raconter librement sur les réseaux, ses vécus car souvent cela reste tabou d’en parler.  Il y a des gens qui ont voulu s’approprier le mouvement mais cela doit rester libre. Il y a d’autres actions superbes comme le rappeur Vin’S. Il a sorti le titre #MeToo et c’était très intéressant de voir un homme s’exprimer sur le sujet, de savoir que des hommes nous soutenaient dans cette démarche.  

Merci à Gianni Villa, pour les photos de Tracy de Sa

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